QUOI DE NEUF (OU D'ANCIEN) A L'USINE DE GRIGNY?
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Comment ça va, Grigny?
Morose.
Quels sont les problèmes qui inquiètent les salariés de Grigny?
L'attitude de l'employeur sur le booster, l'insécurité, l'encadrement, les sanctions, les conditions de travail, les réunions d'équipe, l'organisation production 35h, le "TCCQS", les investissements, la maintenance, la bourse de l'emploi, et les évolutions de carrière, les instances représentatives, le comité de direction.
Le booster, est-ce que ça marche encore?
Les rendements ne sont pas au rendez-vous du trimestre. Pour s'excuser, l'employeur précise que c'est normal en tournant sur les trois lignes et que, de toute façon, on n'est pas plus mauvais qu'à la même date l'an dernier. Le seul problème, c'est que les objectifs du booster sont fixés par l'employeur, et s'il sait qu'en tournant sur les trois lignes l'atteinte des chiffres est impossible, pourquoi les mettre si haut? Si la hausse des objectifs a été prise sans que les moyens correspondants n'aient été prévus, on peut peut-être se demander si la non atteinte, c'est-à-dire le statu quo par rapport à l'an dernier, n'est pas dans les vrais objectifs afin d'améliorer, non les rendements, mais le COP avec la baisse des salaires des salariés. Si l'employeur ose affirmer qu'il n'est pas inquiet des résultats du booster, les salariés le sont car le booster fait partie, objectivement et malgré eux, de leur salaire. L'employeur ne gère plus le booster que comme un chiffre abstrait. Auparavant, les salariés avaient des réunions où on faisait le bilan des chiffres et des projets et il y avait un échange sur les améliorations. Aujourd'hui, on a rajouté le temps passé à réfléchir ensemble au temps de travail sans se rendre compte qu'on perdait la motivation de chacun et l'esprit d'équipe. Ce n'est pas la grand messe annuelle des objectifs qui peut motiver car entre temps les salariés voient passer sur la chaîne les images des cadeaux aux clients qu'ils n'auront jamais. Au mieux ils obtiennent un stylo light.
Le booster n'est vu aussi par les responsables d'équipe que comme un chiffre, puisque l'employeur n'explique rien et n'éprouve même plus le besoin de se rendre dans les sites pour filmer les expériences qui peuvent servir ailleurs. On peut être tenté de régler les problèmes qui semblent les plus valorisants, et non toujours ceux qui peuvent être le plus utiles (on cherche même à s'attribuer le travail des autres), ou bien on laisse le reste aux équipes suivantes et les équipes suivantes font de même . On oublie souvent de régler les petits problèmes qui gênent le plus les opérateurs parce qu'ils les stressent en permanence. Si les chefs d'équipe ne peuvent parler entre eux qu'en stage, il est sûr que la conscience des responsabilités du poste tardera à être pleinement présente. Quand un chef d'équipe ne dialogue qu'avec celui qui le précède ou le suit à l'occasion du travail, le discours ne peut viser qu'à donner l'impression immédiate de ne pas laisser trop de problèmes. Le changement d'équipe n'est pas un lieu propice au dialogue de réflexion.
Quand les chefs d'équipe passent une grande partie de leur temps sur les machines pour pallier à des absences, il leur est difficile de manager le reste de leur personnel et d'obtenir des résultats sur autre chose que leur machine du moment.
Pourquoi l'insécurité de l'usine s'aggrave?
La sécurité se dégrade de plus en plus au point d'atteindre à mi-année les objectifs prévus par l'employeur à la fin décembre. Bien sûr, comme toujours, mais les précédents employeurs nous ont déjà sorti la rengaine, ce n'est pas la faute à l'entreprise: les causes d'accidents sont découpées en machines (comprenez machines insuffisamment sécurisées), environnement (comprenez les conditions de travail imposées) et comportements et problèmes personnels des individus (comprenez 90% des accidents, car les éléments de machine, d'équipement, de bâtiment ou de matières premières qui tombent toutes seules ou lâchent prise sont forcément limités). Aucun débat n'a eu lieu depuis deux ans en Comité d'établissement sur les bilans d'accidents du travail malgré nos demandes. Pourquoi? Si l'employeur qui a tous les pouvoirs pour décider n'est responsable que de 10% des accidents, à quel saint va-t-il falloir se vouer pour obtenir un peu de protection?
L'encadrement peut-il nous aider à nous sécuriser?
Il le devrait si on lit l'"engagement qualité, sécurité et environnement" du Directeur d'usine trouvant qu'"aucune personne ne peut accepter de voir l'activité qu'il gère porter atteinte à la vie ou à l'intégrité physique de son collègue ou de son personnel sans se poser de questions". L'encadrement le veut-il? Certains sont prompts à discuter, sur le dos des accidentés, de leurs cumuls individuels sur l'année, à faire des remarques sur les soins infirmerie qu'ils notent. Si une tache de cambouis se trouve sur un passage piéton et qu'il n'y a de la sciure qu'au bout de 3 heures alors que plusieurs responsables sont passés par là (en évitant de marcher dessus), on peut se dire que le bilan sécurité est bien à la hauteur de la responsabilité qu'assument ceux qui ont le pouvoir de décider dans chaque zone. Quand l'encadrement assumera la norme de responsabilité de la déclaration du Directeur, peut-être que la courbe des accidents du travail commencera à baisser. En tout cas, ce n'est pas la pédagogie qui manque avec de très bons supports, ni les interventions d`améliorations avec les fiches de prévention et les questions de la délégation du personnel.
Les sanctions peuvent-elles maintenir le respect des procédures et l'autorité de l'encadrement?
Oui si les moyens tels que le suivi de la performance et le dialogue ont échoué et si l'avertissement ou la pénalité est juste tant par rapport aux conséquences des actes qu'à l'équité vis-à-vis des autres salariés.
Non dans les autres cas. Si on reproche à quelqu'un quelque chose qu'on ne lui a pas demandé explicitement, un objectif qu'il n'a pu atteindre faute de formation ou de moyens suffisants, une responsabilité qui ne fait pas partie de la définition de son poste, il est évident que la sanction ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau. Au mieux, elle va être "utile" pour démoraliser les autres salariés du service. Si la sanction vise à régler un problème d'amour-propre parce que le salarié n'a pas courbé l'échine devant son chef, elle ne va servir qu'à alimenter les perles de la commère que les salariés se rappellent chaque fois que le chef concerné est au tableau du déshonneur parce qu'il a fait une boulette.
Les conditions de travail sont-elles correctes?
Pour ce qui est des machines des lignes de production, elles semblent être la priorité de l'employeur. Les chariots semblent être un peu moins prioritaires car il y a toujours quelqu'un pour donner un ordre à un cariste de conduire malgré un danger, alors que les machines de la chaîne sont moins tolérantes en s'arrêtant impromptu. Les autres chariots sans moteur, c'est-à-dire les bennes, ont une priorité en dessous car même si les roues déglinguées rendent difficile le poussage, l'employeur peut se dire que le travail de ramassage des bouteilles hors norme sera plus pénible et donc qu'on préfèrera pousser les bennes malgré les risques santé. Les protections sécurité individuelles sont assurées d'avoir une bonne priorité si elles font partie des campagnes mensuelles de l'employeur. Par contre, si ces protections individuelles sont objectivement plus importantes mais ne font pas partie de campagne, le salarié attendra plusieurs mois, ou l'année suivante pour le prochain budget.
Qu'y a-t-il de nouveau dans les réunions d'équipe?
Rappelons d'abord que la tenue d'une réunion d'équipe est une obligation légale chaque deux mois. Le contenu de ces réunions doit être la possibilité pour chaque salarié des équipes de faire part de remarques portant sur les améliorations de travail possibles. Comment se déroulent actuellement ces réunions? D'abord, elles n'ont pas lieu dans toutes les équipes. Certaines équipes n'ont pas eu de réunion depuis plusieurs mois sans que l'employeur s'inquiète. Apparemment, les responsables des services ne cherchent pas à suivre le planning prévu, ou bien n'ont-ils même pas établi de planning. Quand les réunions ont lieu, elles sont bien remplies par de l'information ou de la formation employeur, mais le temps consacré aux questions est renvoyé à la fin et expédié en cinquième vitesse. Il arrive aussi qu'on dissuade de poser des questions embarrassantes. Quand Coca-Cola a commencé à établir ces réunions, il y a quelques années, elles étaient très encadrées, suivies par le Responsable des Ressources Humaines et un compte-rendu écrit et distribué aux salariés était obligatoire. Entre le carcan d'autrefois et le laxisme d'aujourd'hui, il doit bien exister un milieu. Si les salariés ne peuvent s'exprimer dans les réunions d'équipes, il ne faut pas s'étonner ensuite s'ils osent le faire en interpellant leurs élus, en se plaignant dans le dos des chefs, voire en portant le débat sur un terrain politique.
L'organisation production sur 35h permet-elle de travailler?
Mal. L'accord sur l'ARTT permet aux salariés d'améliorer leur vie privée et à l'employeur de maintenir sa compétitivité. La création d'emplois devrait normalement servir à faire le travail des heures en moins des salariés. Il semble que les embauches servent à toute autre chose. Les jours où les salariés production utilisés pour les quarts de révision-préparation prennent leur jour RTT, les effectifs ne sont pas toujours suffisants compte tenu des lignes en fonctionnement. Même si on suit la recommandation de l'employeur de "ne pas courir", faire la navette entre les différents équipements crée du stress et le stress permanent permet les conditions d'accidents du travail. Mais l'employeur va isoler l'accident de l'organisation en place ce jour-là et à cette heure-là (par exemple pause ou chef d'équipe non présent sur le terrain) et il finira bien par trouver un comportement censé expliquer tout. Si l'opérateur est un cariste qui remplace pendant deux heures sur un poste fixe, il doit anticiper (c'est-à-dire rouler plus vite) pour éviter des ruptures de matières premières, et dès sa reprise, re-rouler plus vite pour combler son absence de deux heures.
Quelles répercussions aura le "The Coca-Cola Quality System" sur l'usine?
L'objectif du TCCQS est ambitieux et nécessaire, mais sa réalisation suppose des réexamens des organisations et des postes.
La "norme 1.7.5" suppose certainement que le jugement de la qualité ne soit pas sous la responsabilité hiérarchique de la production, comme cela est en cours de réalisation pour la qualité du week-end, soit sur 30% du temps de travail.
Si l'on maintient l'exigence régulière de la vérification et du comptage des réceptions de concentrés de la Compagnie, il faudra bien aussi se rendre compte que l'on demande des tâches de "contrôleur réception" telles qu`elles figurent dans la grille de classification, et non plus celles de "cariste contrôleur".
La bourse de l'emploi fonctionne-t-elle?
Le journal "Mouvements" qui en rend compte sort bien régulièrement, même si on a oublié de le communiquer aux membres du Comité d'établissement. Par contre, tous les emplois n'y figurent pas et des nominations arrivent par affichage direct. Les feuilles d'évaluation de la performance individuelle comportent, dans certaines équipes, des nouveautés intégrant les souhaits de formation pour évolution. C'est très bien. Mais si les évaluateurs ne remplissent pas les cases ou ne demandent pas aux évalués leurs souhaits, on se retrouve dans une usine pavée de bonnes intentions, bref en enfer. Si les entretiens périodiques ne permettent pas de faire savoir les désirs d'évolution et de faire un constat avec son supérieur hiérarchique, comment s'étonner des candidatures aux bourses juste pour manifester une impatience d'évolution plus que le désir d'un poste précis.
Les investissements sont-ils proportionnés aux besoins?
Si les clients demandent des formats particuliers, on est, semble-t-il, prêt à investir dans des modifications des chaînes de production. Si les clients demandent des productions avec une date précise, on est prêt à fouetter les salariés pour qu'ils avancent plus vite même s'ils ont le mors aux dents. Par contre, si les salariés demandent quelque chose, comme par exemple sur l'ASS pour fabriquer plus de sirop simple alors que le rendement est limite, on tarde à prendre des décisions. Combien d'arrêts dus à l'ASS faudra-t-il encore avant que des investissements soient faits? Un seul arrêt prolongé n'est-il pas suffisant? Et la pression sur les siropiers pour aller plus vite ne peut que stresser, condition peu conforme à de Bonnes Pratiques de Fabrication. Les alertes des salariés n'ont pourtant pas manquées. Mais comme toujours la non-écoute persiste. Le COP est-il là aussi la cause qui éclaire? Si lors de la dernière guerre les Anglais avaient fait le pari de détruire les bombardiers avec le minimum de projectiles, il est sûr qu'ils auraient pu gagner le pari avec Londres totalement détruite.
Pourquoi la maintenance rame en faisant du surplace?
Des améliorations de l'organisation maintenance ont été apportées avant l'accord ARTT au fonctionnement de l'usine, avec un encadrement d'intervenants dans les équipes semaine. Par contre, les arrêts fixes chaque quart hebdomadaire non travaillé de la production ne permettent pas, manifestement, de répondre aux besoins. Il y a un effectif trop réduit de la maintenance ce quart là pour les trois lignes d'embouteillage ou pour les quatre souffleuses. Si l'on veut réparer en plusieurs endroits, il faut disperser les maigres forces, et si l'on veut intervenir sur un équipement, il faut les concentrer, au moins être deux. Les retards s'accumulent sans cesse et la liste de ce qui doit être fait s'allonge. Du côté embouteillage, il ne semble pas qu'il y ait un planning systématique comme pour la partie soufflage, et les pièces détachées ne sont pas toujours au rendez-vous, parfois après avoir démonté un équipement. La maintenance est la pièce maîtresse qui permet aux équipes production de travailler. Les retards de recrutement ou de formation n'expliquent pas tout.
N'est-il pas possible d'avoir une organisation maintenance qui concentre les forces au lieu de les disperser? Par exemple de faire des arrêts d'une seule ligne entière une fois par semaine en bénéficiant du maximum d'effectif maintenance (le H lundi, le F mercredi, le G vendredi)? Une usine ayant une flexibilité avec trois chaînes, c'est bien, car c'est un moyen de répondre aux clients. Par contre, si la flexibilité prime sur les réparations, on arrive à ne pas pouvoir produire les résultats parce qu'on ne les veut pas.
Que se passe-t-il avec les instances représentatives?
L'employeur fixe les réunions à venir de la Délégation du personnel et du Comité d'établissement avec les élus. L'employeur précise qu'il ne pourra pas faire la réunion tel ou tel jour, mais qu'il ne le peut qu'aux dates fixées. Les dates fixées arrivées (quand elles ne sont pas changées à la dernière minute, de préférence en dehors des délais légaux), les élus ne se trouvent désormais en sa présence q'une fois sur deux actuellement. Quand on ne veut communiquer avec les élus qu'à 50%, il ne faut pas s'étonner du malaise dans les instances représentatives. Quand on veut qu'un établissement fonctionne correctement, il est difficile de l'envisager contre ou malgré les élus que se sont donnés les salariés. Les élus représentent 10% des salariés au niveau quantitatif, et au niveau qualitatif, ils ont la confiance de 90% des salariés.
Si ça ne va pas fort, le Comité de direction s'inquiète-t-il?
Tous les salariés et tous les visiteurs constatent depuis plusieurs semaines une dégradation des résultats: les escaliers des graphiques baissent sans remonter. Quand on voit les chiffres actuels sur le groupe H avec les performances auxquelles on était parvenu auparavant, il y a de quoi s'étonner. Si le traitement des problèmes est complexe, pourquoi ne pas faire appel à des sociétés conseils pour retrouver les bonnes méthodes de travail? Si ce sont les bases de fonctionnement de certains équipements qui manquent, pourquoi ne pas chercher à mieux les diffuser. Si on a des améliorations en projet, pourquoi n'informe-t-on pas. Nous avons connu une usine où on disait ce qu'il y avait, ce qui allait et ce qui n'allait pas, ce qu'on allait faire et les résultats qu'on constatait. Aujourd'hui, les salariés n'ont droit qu'à des informations feutrées. Les tableaux, ça met un peu de couleur sur les murs. Savoir que la salle des machines marche à 60% et que le vent souffle à 40km à l'heure, cela doit certainement être intéressant. Ce que l'équipage du bateau veut savoir, c'est où va-t-on et quel jour on pense arriver au port.
Comment ça va, Grigny?
Morose.
Dépôt CCE Grigny: 21-juin-2000
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Responsable de publication: André PUJOL
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